l'odyssée de 1 500 kilomètres des Geo Barents

l’odyssée de 1 500 kilomètres des Geo Barents

Sacs à vomi. Surtout, nous avons distribué des sacs à vomi aux rescapés à bord du Géo Barents, le navire de recherche et de sauvetage de Médecins Sans Frontières (MSF). Parce que les conditions météorologiques sur le chemin d’Ancône (Italie) ont été vraiment mauvaises. J’écris ce texte en passant par Bari. Il fait très froid. Nous allons à 2,5 nœuds (4,6 kilomètres par heure, presque comme si nous étions à pied) au lieu de 10. Il y a des vagues jusqu’à 4 mètres de haut.

Cette situation aurait pu être évitée. Il y avait d’autres ports plus près du Géo Barents

Les 73 survivants se trouvent sur le pont le plus élevé du navire. Sur le pont inférieur, il était impossible de rester, trop d’eau entrait. A l’étage il y a de la place pour tout le monde, le problème c’est que sur le pont le plus haut on a plus le vertige. Nous avons dû mettre des cordes pour les utiliser comme mains courantes afin de ne pas tomber. Cette situation aurait pu être évitée. Il y avait d’autres ports plus près du Géo Barents; le choix d’Ancône va à l’encontre du droit maritime international ainsi que de l’intérêt supérieur des survivants.

Pour les personnes secourues, l’épuisement et les nausées s’ajoutent à des mois et des mois passés à manger peu et mal. Nous organisons habituellement diverses activités pour les rescapés pendant la navigation : lectures, cours de langue, voire quelques activités physiques, mais avec ce temps c’est impossible.
Soyons clairs, nous naviguons en toute sécurité. Cependant, l’allongement du voyage augmente la souffrance de ceux qui voient la mer comme un lieu dramatique. C’est un endroit où l’on est tiraillé entre la vie et la mort, où les garde-côtes libyens vous interceptent et vous vous retrouvez dans un centre de détention en Libye.

Fulvia et Íñigo, de l’équipe MSF à bord du Geo Barents. Philippe Taddei

Ils m’ont attaché les mains et les ont brûlées avec une barre de fer brûlante

Juste à côté de moi j’ai Ochek, 21 ans. Il est Érythrée. Alors qu’il n’avait que quatre ans, sa mère décida d’aller à Soudan parce qu’il ne voulait pas être enrôlé dans l’armée, comme tous les garçons de huit ans, d’après ce qu’il nous dit. Au Soudan, Ochek a travaillé dans un restaurant et dans une mine d’or dans les montagnes. Il a donc décidé d’aller à Libyeoù il a été torturé. « Ils m’ont attaché les mains et les ont brûlées avec une barre de fer brûlante », se souvient-il. Il a montré au médecin MSF à bord sa poitrine cicatrisée.

En Libye, Ochek a mangé des pâtes mélangées à des somnifères, « le matin j’ai trouvé une personne morte à côté de moi ou torturée ». Ochek était prêt à mourir en mer pour ne pas être capturé par les garde-côtes libyens et est revenu pour subir à nouveau l’humiliation et la torture. Maintenant, il est impatient de toucher terre. Mais il faut attendre. C’est Ochek, ainsi que les 72 autres personnes à bord, qui paie le prix de ces politiques inhumaines.


Fulvia Conté est responsable des sauvetages de Médecins sans frontières

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