Cinq clés pour comprendre la diplomatie saoudienne

Cinq clés pour comprendre la diplomatie saoudienne

L'un des personnages qui a le plus surpris les observateurs de l'actualité internationale ces semaines-ci est celui du ministre des Affaires étrangères de l'Arabie Saoudite, Faisal ben Farhan Al Saoud. Son omniprésence dans toute réunion où sont discutées les questions concernant la Palestine revêt une importance particulière, surtout si l’on tient compte du fait que les relations entre le royaume saoudien et Israël étaient sur la voie d’une normalisation absolue, à l’instar de Bahreïn et des Émirats arabes unis. C’est peut-être pour cela qu’il était surprenant qu’il ait utilisé le terme de génocide pour désigner l’opération militaire à Rafah dans une déclaration du 6 mai.

Pour le comprendre, il faut expliquer les principaux domaines de la diplomatie saoudienne et les piliers de sa politique internationale.

Gardien des Deux Saintes Mosquées

Le premier pilier, et le plus fondamental, est la responsabilité du souverain saoudien en tant que gardien des deux saintes mosquées. Un titre qui remplace celui de Majesté pour des raisons religieuses : il ne peut pas être majestueux car seul Dieu est majestueux. Être gardien des Deux Saintes Mosquées signifie être responsable de la gestion du Hajj, l’un des piliers de l’Islam.

Le pèlerinage à La Mecque, dans la Masjid-al-Haram, a pour conséquence d'exercer un avantage diplomatique qu'aucun autre État musulman ne possède, et en même temps l'une des obligations les plus délicates. Les tensions diplomatiques ou les bonnes relations saoudiennes avec d'autres pays trouvent un bon thermomètre dans les témoignages des pèlerins. Plus d’une fois, des frictions diplomatiques ont surgi parce qu’ils se plaignaient du traitement réservé aux autorités saoudiennes. Ou vice versa, les pèlerins ont demandé à leurs gouvernements d'être tenus responsables du fait qu'il est plus difficile ou plus facile d'obtenir un visa pour le Hajj en provenance d'un pays ou d'un autre.

Berceau du wahhabisme

Le deuxième pilier, lié au premier, concerne l’importance de l’Arabie saoudite pour le monde islamique sunnite. Le royaume est le berceau du wahhabisme, l’un des courants religieux les plus stricts et les plus conservateurs de l’islam sunnite. Dans le même temps, nous devons nous rappeler que le sunnisme est la branche majoritaire de l’Islam et, par conséquent, on pourrait dire que le conservatisme saoudien génère une grande influence parmi une grande partie des musulmans.

Le lien entre le fondateur de cette doctrine, Muhammad ibn Abd al-Wahhab, et la maison des Al-Saud dans le pacte Al-Diriyya de 1744, a marqué un point de départ. La révolution industrielle saoudienne et l’exportation de cette doctrine dans le monde entier avant la Seconde Guerre mondiale en ont marqué l’autre. D’où l’influence saoudienne hors des frontières du royaume, puisqu’elle a longtemps financé des écoles, des mosquées, la formation des religieux, entre autres aspects, liés à cette doctrine.

Protecteur de la Palestine

Le troisième pilier est précisément le soutien à la Palestine. Le royaume saoudien a toujours soutenu sa cause, allouant des ressources économiques et médiatiques contre la création d’un État israélien bien avant qu’Israël en tant que tel n’existe. En 1965, le roi Fayçal a placé la cause palestinienne comme la cause fondamentale de son royaume et a averti que la dépendance économique et énergétique à l’égard du pétrole saoudien pourrait être utilisée comme une arme si les Palestiniens n’étaient pas soutenus. En juin 1967, au deuxième jour de la guerre des Six Jours, l’Arabie saoudite, l’Irak, le Koweït, l’Algérie, Bahreïn et la Libye suspendirent leurs exportations de pétrole.

La résolution de Khartoum de septembre de la même année a levé l'embargo. Mais pendant la guerre du Kippour, en octobre 1973, l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP) a annoncé un embargo contre tout État soutenant Israël. Elle n'a été levée qu'en mars 1974.

Des décennies plus tard, l’Arabie saoudite a financé l’aide aux Palestiniens tués lors de l’Intifada de 2000, de la même manière qu’elle a promu un fonds destiné à renforcer le rôle islamique de Jérusalem. De même, il a soutenu à plusieurs reprises la reconstruction de Gaza et, en 2007, il a réussi à réunir le Fatah et le Hamas, après une escalade entre les deux qui a abouti à la disparition forcée du Fatah de la bande de Gaza. Mais l’accord de La Mecque de février 2007 a contribué à normaliser la situation. En outre, il collabore continuellement avec l'UNRWA, l'UNESCO, la Banque mondiale et l'Agence de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine, entre autres organisations internationales. De la même manière, elle a toujours soutenu la reconnaissance du patrimoine islamique et arabe à l'UNESCO.

Gardien de la stabilité du Golfe

Le quatrième pilier est la stabilité du golfe Persique. En 1981, le Conseil de coopération du Golfe est créé pour concrétiser la proposition de l'émir du Koweït Jaber Al-Ahmad Al-Sabah. Les différents États de la région se sont rendu compte qu’ils partageaient alors les mêmes problèmes, les mêmes besoins et les mêmes adversaires. C'est pourquoi Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont convenu de former une association politique. La crainte que la révolution islamique traverse le Golfe, ainsi que la menace irakienne d’accéder à la mer via le Koweït, constituaient les principales préoccupations diplomatiques. Et ils n’avaient pas tort. L’Arabie Saoudite a aidé Bahreïn à stopper le Printemps arabe dans son pays, et rappelons qu’en 1991 l’Irak a envahi le Koweït. Tous ces pays sont des monarchies musulmanes et arabes. C’est à ce stade qu’entrerait le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite, car au-delà du conflit religieux, le royaume saoudien considère qu’un Iran fort constitue une menace pour la stabilité politique du Golfe.

La relation avec la Turquie

Enfin, le cinquième pilier est la relation avec la Turquie. La confrontation entre Arabes et Turcs n’est pas seulement une question historique : elle définit aujourd’hui toute la politique diplomatique saoudienne. Lorsque les relations du royaume avec le Qatar sont entrées en crise entre 2017 et 2021, avec un pire moment suite à la guerre au Yémen et aux accusations contre le Qatar pour le financement de groupes armés visant à déstabiliser la région, la Turquie s'est positionnée en faveur de l'émirat.

Le rôle croissant de la Turquie dans le Golfe via l’Irak est l’un des problèmes qui mettent la diplomatie saoudienne sur ses gardes, de la même manière que la guerre civile en Libye a placé la Turquie et l’Arabie saoudite dans des camps opposés jusqu’en 2022.

Rappelons qu’au sommet du G20 tenu à Delhi en 2023, deux projets avaient été présentés pour relier l’Inde à l’Europe, l’un via l’Arabie saoudite, Israël et les Émirats arabes unis, et l’autre via l’Irak et la Turquie. Enfin, il semble que le principal projet sera une union des deux, pour relier tout le Golfe depuis les ports des Émirats arabes unis et ceux de l’Arabie Saoudite, avec Bassorah en Irak en passant par le Koweït, et de là jusqu’à la Turquie. Le mémorandum anti-corruption entre l'Irak et l'Arabie saoudite a été signé il y a une semaine et Malgré une histoire tumultueuse derrière eux, Irakiens et Saoudiens ont réussi à se comprendre.

Aujourd’hui, avec le rapprochement entre Saoudiens et Israéliens, Erdogan a souligné qu’un tel accord était une infamie contre tous les musulmans. Mais nous devons rappeler que d’un autre côté, l’Arabie Saoudite et la Turquie collaborent pour mettre un terme au rôle de l’Iran dans la politique irakienne, qu’elles ont partagé leur camp lors des différents printemps arabes et, en même temps, qu’elles ont normalisé leurs relations avec tous les acteurs impliqués. Il est vrai que la Turquie s’efforce également de devenir le leader du monde islamique, d’où ses efforts pour retrouver son passé ottoman. Mais d’un autre côté, les derniers sondages montrent qu’Erdogan peut durer un mandat supplémentaire, mais que la politique saoudienne restera la même.

En conclusion, la diplomatie saoudienne repose sur l'aspect religieux, en tant que gardienne des Deux Saintes Mosquées, ce qui lui confère une pertinence et une voix d'autorité au sein du monde islamique. Également au sein de la branche sunnite, pour son rôle dans le financement du wahhabisme en tant que doctrine depuis des décennies. Et pour un facteur économique et politique, comme tout autre État, avec ses zones d'influence définies, comme le Golfe, l'Irak et l'Égypte, c'est-à-dire les zones qui entourent le royaume. Nous devons être conscients que les temps sont lents dans la politique saoudienne et que leurs réponses diplomatiques sont parfois difficiles à comprendre, mais Ils finissent par tracer une ligne pointillée que le reste des États doit suivre. Un fait qui lui confère une particularité particulière.

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